Episode 3 – Ce mois-ci, Clicanoo vous emmène à la découverte des micro-brasseries de La Réunion. Ces dernières années, plusieurs se sont implantées sur l’île, proposant toutes des recettes inédites à la touche locale. Rencontre aujourd’hui avec Samuel Maillot, créateur de la brasserie Demeter à Saint-Paul, d’où sortent les bières Manzel’.

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération. 

« Les styles de bière sont extrêmement variés, et on ne veut pas faire tout le temps la même chose » : le concept des bières Manzel’ tient en une seule phrase. Samuel Maillot, créateur de la brasserie Demeter, est un jusqu’au-boutiste pour qui se limiter à deux recettes ou trois serait un sacrilège. Depuis la création de sa brasserie en 2020, le Saint-paulois a déjà testé plus d’une centaine de recettes différentes, à la recherche de l’originalité. « J’ai toujours aimé l’art culinaire et le côté dégustation, et tôt ou tard je voulais bosser dans ce milieu », raconte le jeune homme au milieu de son atelier des hauts de Saint-Paul.

Alors, quand le Covid vient mettre à mal son activité dans l’événementiel de sport, Samuel Maillot, pas encore 30 ans, se dit que c’est peut-être le moment de se lancer, alors que le marché de la bière continue de croître. « Je me rendais compte qu’à 11 000km de l’Europe, importer à chaque fois des bouteilles, c’est coûteux et fastidieux, et les droits d’approche à La Réunion sont très chers. Je trouvais ça beaucoup plus cohérent dans la démarche de faire nos bières nous-même ». Résultat, le projet est vite sur les rails à l’aide de quelques subventions et dispositifs d’aide à l’entrepreneuriat : la brasserie est créée en 2020 ; elle sort ses premières bouteilles à la fin de l’année, qui se retrouvent en vente dès janvier 2021.

Si vous n’avez pas encore eu l’occasion de les croiser dans les rayons, ne soyez pas surpris : la brasserie Demeter ne produit pour l’instant qu’un volume très confidentiel de 160 litres par mois, écoulé dans quelques caves à bières qui se comptent sur les doigts d’une main. Et pourtant, signe que la demande est bien là, Samuel Maillot souffle avoir été déjà contacté par plus de 160 points de vente sur l’île, sans avoir eu à démarcher. « Il y a eu un attrait qu’on n’aurait pas imaginé », dit-il un peu surpris.

« Il y a quelques années, je ne voyais pas vraiment l’intérêt de la bière » 

Pourtant, rien au départ ne le prédestinait au brassage de la bière, une boisson qu’il n’affectionnait pas plus que ça, sous sa forme industrielle du moins. « Il y a quelques années, je ne voyais pas vraiment l’intérêt, ne connaissant que les grosses brasseries industrielles. Je trouvais le produit un peu fade. En fait, il ne me procurait aucune émotion », se souvient Samuel. Mais ça, c’était avant qu’il n’entre au « Palais de la bière », où le serveur lui a fait revoir tout son jugement. « Je lui avais demandé une banale bière industrielle, et il m’a dit « oublie tout ce que tu connais, on va repartir de zéro ». Et là il m’a posé des questions sur les vins et les plats que j’appréciais, il a essayé de comprendre mon palais pour me proposer des choses ». Un déclic pour Samuel : « J’ai compris que le profil organoleptique de la bière était infiniment varié. On peut vraiment faire ce qu’on veut : de l’acide, du sucré, de l’amer, et même du salé. À partir de ce moment-là, dès que goûtais une bière, j’essayais de savoir comment ils avaient obtenu tel ou tel goût. C’est comme ça que j’ai commencé à brasser en amateur. Avec des casseroles, un entonnoir et une passoire ! ».

Quelques temps plus tard, il passe le test d’entrée qui lui permet de suivre une formation de brasseur à l’IFBM près de Nancy, l’Institut français des boissons, de la brasserie et de la malterie. « Ça m’a vraiment beaucoup appris au niveau de la théorie, ce qui aide à expliquer les résultats qu’on a, quels paramètres ont joué sur un brassin ».

Reproduire le goût de la Dakatine dans une bière 

Depuis, Samuel Maillot s’amuse. « J’ai fait le choix d’avoir un matériel qui permet de faire beaucoup de choses différentes mais en petit volume, comme ça si on se trompe tant pis, mais au moins ça nous permet de tester des choses assez loufoques ». Les erreurs font partie du jeu : « Le premier brassin que j’ai fait avec mon nouveau matériel, je me suis complètement foiré, et ça a donné peut-être une des meilleures bières que j’ai faites. C’était une Neipa (New-England IPA, ndlr), une bière relativement légère qui se boit très facilement, et je me suis trompé sur les quantités d’eau. Ça a donné quelque chose de super concentré, à 10% d’alcool, mais quand on la buvait on avait l’impression qu’elle en faisait 4 ou 5, c’était impressionnant. En terme d’arômes c’était vraiment un jus de houblon, très concentré, super sympa ».

Dans son laboratoire de Bellemène, qu’il déménagera bientôt à Saint-Leu, le passionné expérimente et rectifie les recettes au fur et à mesure. « Par exemple, j’ai voulu reproduire le goût de la Dakatine dans une bière. J’ai fait une imperial stout, une bière noire très forte avec des pistaches péi grillées. Mais le problème c’est que les pistaches, ça apporte du gras, et le gras tue la mousse, apportant une texture pas terrible. Elle est très bonne au goût mais est plutôt faite pour être dégustée comme une liqueur en fin de repas. Alors on la retravaille pour qu’elle soit plus aérée ». Au détail près, jusqu’à jouer sur le profil de l’eau utilisée et des minéraux qu’elle contient.

« On veut faire des bières qui, peut-être plairont à 2% de la population » 

Ces tests permanents lui permettent constamment de proposer de nouvelles bières à ses clients, en privilégiant la diversité plutôt que le volume. Chaque recette est à chaque fois disponible dans des quantités très limitées, ce à quoi la brasserie veut remédier. « On va passer dans les prochains mois à une production de 5 000 litres par mois. Ça reste beaucoup plus petit qu’une brasserie comme les Dalons ou Picaro. Mais en même temps, c’est un pari aussi de ne pas vouloir plus gros ».

Quant au goût, Samuel Maillot veut être à l’opposé des bières industrielles, conçues pour plaire au plus grand nombre. « Ce n’est pas du mauvais travail, parce qu’il faut des brasseurs extrêmement bons pour faire une bière industrielle neutre, sans mauvais goût. C’est juste qu’elle ne correspond pas à nos goûts », justifie le brasseur artisanal. « Nous, on veut se faire plaisir et faire des bières qui, peut-être, plairont à seulement 2% de la population. Ça nous va si sur l’ensemble de notre gamme, les gens en détestent quelques-unes et en adorent d’autres. On veut vraiment être clivants ». Un vrai parti pris.

Pas de gamme permanente 

Difficile donc de décrire précisément les bières Manzel’. Pour simplifier, Samuel Maillot les a réparties en deux gammes : une rafraîchissante, et une de dégustation. « Le prix varie en fonction des produits utilisés. On n’a pas envie de s’interdire des recettes à cause du prix, alors on va juste le faire en moindre quantité et le vendre comme bière de dégustation », explique Samuel, qui travaille par exemple le Bourbon Pointu à 350 euros le kilo dans une de ses recettes.

Mais aucune bière n’est produite de façon permanente chez Demeter. Juste des styles de bière, qui vont varier en terme de houblon utilisé, ou de quantité des ingrédients utilisés. « On a par exemple une ambrée à la vanille qu’on va modifier légèrement : parfois elle va être sur un côté plus gourmand, parfois on va rajouter un tout petit peu plus de houblon pour équilibrer entre la douceur et l’amertume ». La seule bière qu’il a brassée trois de suite est une Neipa à la mangue fraîche et à la vanille, qui avait rencontré un beau succès.

À la recherche de l’émotion 

Samuel tient à sortir des sentiers battus. « Une brasserie qui fait une blonde, une ambrée et une blanche pendant 20 ans, elle aurait du mal à fonctionner aujourd’hui, parce que les gens qui sont prêts à payer pour une bière artisanale cherchent autre chose que ça », considère-t-il. Que recherchent-ils ? De l’émotion, répond Samuel Maillot. « De plus en plus, on essaie de savoir pourquoi on consomme tel ou tel produit. La dégustation est très très liée à la mémoire et à l’émotion, à ce qu’on ressent. Et on va avoir beaucoup plus d’émotion avec des produits qui auront des goûts plus francs, plus travaillés », fait valoir le fervent défenseur de la bière artisanale, qui voit d’un très bon oeil l’émergence de plusieurs acteurs sur ce secteur. « C’est génial qu’à La Réunion de plus en plus de gens s’y mettent. Plus on sera à militer, plus on arrivera à convaincre qu’au lieu d’acheter un pack de 36 en grandes surfaces, il y a aussi autre chose à découvrir. D’autant que globalement, les gens retournent davantage à du local et font plus attention à ce qu’ils achètent ».

C’est pourquoi le boom des brasseries artisanales à La Réunion ne le surprend pas. Pour le créateur de la brasserie Demeter, l’île ne fait que rattraper son retard dans ce domaine. « C’est une évolution logique. Il y a vraiment encore de la place pour tout le monde. D’autant que chacun a ses spécificités : une blonde classique n’a absolument pas le même goût, sur l’ensemble des brasseries de La Réunion. Chacun a son parti pris, sa façon de voir le marché, et ce qu’il va y mettre dessus ».

Un bar de dégustation en septembre 

Samuel Maillot a déjà des projets en chantier pour la suite. Créer un vrai lieu de dégustation où il servira non seulement ses propres bières, mais aussi celles d’autres brasseries artisanales. Un projet qu’il va mener en famille, avec son père aux fourneaux, sa mère à la fabrication de kefir et de kombutcha, et sa soeur à la communication. « J’ai rencontré aussi pas mal de personnes qui sont fan de bières et qui vont nous rejoindre sur la partie conseil ». Samuel veut en effet pousser loin la partie découverte de la bière. « On aimerait remettre le côté humain au centre de la dégustation, que le serveur soit vraiment là pour orienter les gens. Car on ne va pas conseiller quelqu’un venu boire une seule bière comme quelqu’un qui va en boire trois. C’est comme avec le vin, il y a une progression dans la dégustation ». Et parce que ça compte beaucoup pour lui d’associer à sa bière des mets, Samuel Maillot y proposera aussi des samoussas, des rillettes, et autres tapas qui devraient se marier à merveille avec ses breuvages. « Par exemple, une bière brune assez forte, avec le canard c’est génial, mais avec la plupart des poissons et crustacés aussi. Les desserts vont bien avec les imperial stout. La bière ça marche très très bien avec le fromage aussi, par exemple avec une triple qui a beaucoup de corps ».

L’ouverture de ce bar de dégustation à la capacité de 150 places assises est prévue dans les prochains mois, dès septembre. Un pari qui n’effraie pas le jeune Saint-paulois, qui en profitera faire monter sa production mensuelle à 5 000 litres en investissant dans de nouveaux fermenteurs. Mais il est confiant. « Le Covid l’a montré, les gens ont besoin de vivre, se retrouver. Et la bière, c’est le produit social par excellence. Si on arrive à prendre ce côté social et y mettre autour le concept de dégustation, on croit dur comme fer que ça va marcher ».

Johanne Chung To Sang 



La gamme 

Le concept de la brasserie Demeter ne repose pas sur une gamme fixe, au contraire. « On a beaucoup de recettes différentes et originales qui changent tout le temps, avec beaucoup de bières éphémères. Grosso modo, on aimerait sortir 5 nouvelles bières par mois ».

Les bières Manzel’ se retrouvent malgré tout dans deux catégories, qui se distinguent surtout par leur prix : une gamme de bières rafraîchissantes, moins chères, et une gamme de bières de dégustation, brassée avec des ingrédients plus rares et parfois onéreux.

Des styles de bière sont récurrents, comme la bière triple, qu’il a brassé en plusieurs versions, dont une en gamme dégustation, vieillie dans un fut qui a contenu des spiritueux, pour lui donner encore plus de goût.