Beer Masterclass, dégustation et biérologie
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération.
Qu’est-ce que The Beer Masterclass ?
C’est une formation en dégustation et en biérologie, aussi appelée zythologie, du grec zythos, « bière ». On y aborde l’ensemble des techniques de brassage, les caractéristiques d’une bière, mais aussi l’histoire et la culture de la bière. C’est un peu l’équivalent d’une formation en oenologie.
C’est assez agréable car il y a pas mal d’expérience : la formation se fait avec Bernard Bleus, qui est l’ancien directeur général de la brasserie belge Chimay, une des six abbayes trappistes du monde. C’est une véritable opportunité d’avoir quelqu’un comme ça à La Réunion. Les Masterclass ont commencé en début d’année, à domicile directement chez le client, et à la brasserie du Spot, dont Bernard Bleus est le co-fondateur.
Pour ma part, j’ai plus de 15 ans dans le milieu de la micro-brasserie, notamment en tant que brasseur. J’ai brassé en métropole, au Canada, aux Bermudes, en Espagne, puis pendant 10 ans à La Réunion aux 3 Brasseurs. Et aujourd’hui je fais de l’audit et du conseil en bière.
J’ai crée ces masterclass car j’ai senti qu’il allait y avoir un besoin de compréhension de l’offre grandissante de bières à La Réunion. La multiplication des micro-brasseries et donc l’apparition de bières aux profils très différents m’ont donc poussé à créer cette formation qui permet d’appréhender et comprendre ces nouveaux produits.
Comment ça se passe ?
L’atelier, qui dure 3 heures, est basé sur 6 à 7 bières qui vont servir de ligne directrice pour apprendre à caractériser les styles de bière. On va apprendre à reconnaître les différents styles de bière, leur pourcentage d’amertume, leur carbonatation, leur couleur… Il s’agit de donner les armes aux consommateurs pour qu’ils puissent reconnaître les bonnes bières, et appréhender ce nouveau monde qui s’ouvre à La Réunion. On veut vraiment que ce soit quelque chose de qualitatif.
Les gens s’intéressent-ils de plus en plus aux bières qu’ils boivent ?
La bière a le vent en poupe, notamment à La Réunion, et on voit de belles craftbeers (bières artisanales, ndlr) sortir des micro-brasseries réunionnaises. On le voit parmi les gens qui participent aux Beer Masterclass, ils ont des profils très variés : des gérants de caves à vin qui viennent pour ensuite former leur personnel, des brasseurs qui veulent approfondir leurs connaissances, ou encore des gens qui sont dans l’engouement général. Il y a des jeunes, des plus âgés…
Comment explique-t-on ce phénomène ?
Il est lié à la diversification de l’offre : les gens voient arriver des bières qui sont très différentes de ce qu’ils ont l’habitude de consommer. Puisque l’offre s’étoffe, ils vont peut-être se tourner vers une bière, avec des saveurs différentes, au lieu de consommer un verre de kir ou de vin. Avant, une bière, c’était juste une bière ! Il y a 20 ou 25 ans, les microbrasseries ont connu un boom aux Etats-Unis. Puis en métropole. À La Réunion on fait aussi notre boom de notre côté, avec non seulement des micro brasseries locales qui ouvrent, mais aussi les bières importées, qu’on voit par exemple dans des enseignes comme le V’n’B, ou Bière au Logis. Les consommateurs réunionnais peuvent désormais découvrir un monde entier lié à la bière. Ça favorise l’industrie locale, l’artisanat et la création d’emplois !
Le boom va-t-il se poursuivre ?
Ce boom va selon moi se poursuivre sur une période de deux à cinq ans. On verra encore des micro-brasseries apparaître, mais c’est la qualité qui va jouer, pour pouvoir trouver une place sur le marché : on va rechercher des bières régulières, au goût équilibré, et qui n’ont pas d’infection.
Qu’est-ce qu’une bière infectée ?
Une bière infectée se reconnaît notamment au phénomène de « gushing » : c’est quand à l’ouverture la bière se vide d’un tiers sur la table, il y a beaucoup de mousse. Ça arrive quand les bactéries vont consommer les sucres non-fermentescibles contenus dans la bière, ce qui va produire du CO2, d’où la mousse. Mais on la reconnaît aussi au goût : dans une bière infectée on sentira une diminution de l’amertume, un goût de pomme verte, ou de l’acidité. À l’apparence aussi, elle aura une qualité un peu huileuse. Ça dépend du type de bactérie présent dans la bière.
L’image de la bière a-t-elle changé cette dernière décennie ?
Oui, et partout. Avant, la bière avait un côté très populaire, sans finesse, et assez uniformisé. La bière c’était de la bière, point barre. Mais aujourd’hui, preuve que ça a changé, je donne des masterclass avec des clubs d’oenologie par exemple. Parce que les amateurs de vin souhaitent découvrir autre chose, et savent désormais qu’il y a beaucoup de nuances dans ce monde-là. Avant de commander une bière maintenant, les gens se renseignent sur son style, la brasserie qui l’a sortie…
Qu’est-ce qui a provoqué ce boom de la création de micro-brasseries à La Réunion depuis 4 ans environ ?
Jusqu’ici à La Réunion, c’était peu connu, et importer le matériel était compliqué, réservé à quelques gros acteurs. Mais aujourd’hui l’offre chez les fournisseurs du secteur s’est extrêmement diversifiée, et démocratisée. Ça a favorisé l’équipement des gens. Or, la micro-brasserie c’est beaucoup d’initiative personnelle, des gens qui commencent en faisant des brassins chez eux. La microbrasserie a toujours été accessible, c’est assez facile de démarrer. On a eu les Dalons qui ont fait beaucoup de communication, ça a joué aussi sur la démocratisation.
Comment peut-on décrire en 2021 le paysage de la bière artisanale à La Réunion ? Chacun a-t-il son style ?
On a des brasseurs comme celui de la Manzel qui vont faire des produits très spécifiques, et des brasseurs comme celui du Spot qui vont faire de la qualité optimum dans des styles classiques. D’autres qui vont explorer un peu dans tous les sens, comme les Dalons, apportant beaucoup de nouvelles saveurs, de nouvelles techniques, en incluant des produits locaux… On a les 3 Brasseurs aussi, qui sont un gage de qualité en terme de micro-brasserie, avec zéro infection, zéro changement dans le profil des bières d’un brassin à un autre. Ou encore la brasserie de Bel Air avec un mono-produit, une blonde très bonne de qualité. Tout le monde a un style un peu différent, et ça joue sur la qualité de l’offre.
Quels conseils peut-on donner à ceux qui aimeraient se lancer dans la micro-brasserie ?
Déjà, il faut avoir énormément de rigueur. C’est assez classique ce qu’on observe. Au début, l’entrain est fort, on achète du matériel et on fait des bières, et au bout d’un an, les problèmes apparaissent : les bières sont plus irrégulières, manquent d’équilibre. Faire de la bière une fois, c’est facile. Faire de la bonne bière, c’est accessible. Mais faire de la bonne bière longtemps, c’est très difficile ! Si un client aime votre bière, pour le fidéliser il va falloir qu’il puisse la retrouver deux mois plus tard avec la même saveur, le même niveau de carbonatation… Même la taille de la cuve joue, en exerçant une pression différente sur la levure ! C’est extrêmement exigeant. Ça demande un contrôle et une hygiène permanents. Or, souvent les brasseurs s’enferment dans de mauvaises habitudes, et ne se rendent plus compte qu’ils font certaines erreurs. Dans mon activité d’audit et de conseil, j’analyse tout de A à Z et je leur rappelle les points, soit qu’ils avaient oublié, soit qu’ils ignoraient totalement. La micro-brasserie c’est attirant, parce qu’on commence avec du grain et ça finit dans un verre, on produit un liquide convivial. Mais c’est aussi très exigeant et rigoureux en terme de qualité de process, de contrôle sur l’hygiène, d’entretien du matériel…
Faut-il beaucoup investir pour commencer ?
Avant, monter une micro-brasserie coûtait autour de 400 000 euros pour une bonne qualité de matériel. Maintenant, on a différents fournisseurs sur le marché, l’offre n’est plus aussi limitée, et le prix est moindre. Du coup on peut avoir une micro-brasserie à la capacité de production de 10 à 20 hectolitres pour moins 150 000 euros environ. Mais ça peut aussi aller jusqu’à 900 000 euros, dépendant du matériel.
Et pour les matières premières ? L’importation de la majeure partie des ingrédients est-elle une contrainte supplémentaire ?
Aujourd’hui toutes les matières premières partent d’Europe, ça se passe très bien. Ça s’est aussi amélioré en terme de gammes, de stabilité des produits comme le malt, le houblon. L’offre est conséquente, existe en différents formats.
Comment se former ?
Normalement, avant il fallait faire deux ans de formation en agroalimentaire, et un an en fermentation et fromagerie. Mais aujourd’hui on a deux formations diplomantes en France : à l’IFBM (Institut français des boissons, de la brasserie et de la malterie) et à l’Université de la Rochelle. En revanche on peut s’en passer pour savoir brasser de la bière, c’est un métier assez nouveau, qui est peu réglementé, mais qui le sera probablement dans le futur je pense.
Ateliers The Beer Masterclass, bièrologie et dégustation : plus d’informations sur la page Facebook The Beer Masterclass Réunion
Propos recueillis par Johanne Chung To Sang
Comment reconnaître une bonne bière ?
Pour Blaise Lombard, on ne peut pas parler d’une « bonne bière » en tant que tel, mais de bonnes bières dans leur style. « Une bonne bière l’est par rapport à son style ». Une IPA par exemple, sera mauvaise si elle a un « goût résineux très fort, sans amertume florale, et d’une coloration blond léger ». « Ce qu’on attend c’est du jaune orangé, et un niveau d’amertume costaud ». Une bonne triple elle, sera jugée plutôt sur l’équilibrage entre sa teneur en alcool et la sensation d’alcool ressentie en buvant. Des bonnes bières artisanales il y en a, mais de mauvaises aussi. « Il ne faut pas laisser passer trop de défauts sous prétexte que c’est artisanal », pointe du doigt le consultant. Mais à l’avenir, de plus en plus de consommateurs devraient savourer cette boisson autrement. « Le fait d’avoir de plus en plus d’interlocuteurs, de gens qui s’y connaissent, ça augmente la culture bière, mais aussi l’offre et la qualité. Tout ça va dans le bon sens ! ».
Les différents styles de bière
Pour Blaise Lombard, « aujourd’hui il faut arrêter de caractériser les bières par seulement leur couleur ». Un critère un peu limitant, alors qu’au-delà de la coloration il en existe bien d’autres pour définir le breuvage, à commencer par le style de fermentation. Il faut aussi considérer la teneur en alcool, la turbidité, la carbonatation, l’amertume… « C’est très français : on est dans une culture centrée sur le vin et pas sur la bière. Mais si vous allez à Portland et que vous demandez une « blonde », ça peut être une IPA ! La couleur n’est qu’un des aspects d’une bière ». Pour le consultant en bièrologie, il vaudrait mieux parler de styles de bières, ou de style de fermentation. Deux grands styles de fermentation existent : l’ale, et la lager, qui utilisent chacune un type de levure différent. On y ajoute aussi la lambic, à fermentation spontanée. De ces types de fermentation découlent plusieurs sous-styles différents.
Nous vous proposons un petit lexique (non exhaustif) ci-dessous, avec la participation de Blaise Lombard.
Ale : type de bière à fermentation haute de style anglais.
Lager : type de bière à fermentation basse.
Carbonatation : elle est définie par le niveau de CO2 par litre. La carbonatation peut être apparente ou réelle : la carbonatation apparente qu’on peut observer en regardant les bulles qui remontent à la surface ; et la carbonatation réelle, qui est celle ressentie en bouche. La carbonatation peut être réalisée de manière naturelle, ou forcée. Les bulles sont plus ou moins fines, ou avec de grosses bulles, dépendant du process.
Turbidité : c’est le niveau de clarification d’une bière, mesuré par le FTU (Formazine Turbidité Unité). La clarification dépend de plusieurs paramètres, notamment la manière dont une bière est refermentée en bouteille. Si on observe une lie au fond de la bouteille, la bière sera trouble.
Lambic : type de bière à fermentation spontanée, en cuve ouverte. Le moût est placé dans des cuves hautes. On n’y ajoute pas de levure, mais on laisse les levures sauvages faire leur travail.
Gueuze : Un mélange de plusieurs lambics issus de brassins d’années différentes.
La bière blonde : une bière de couleur blonde sera généralement composée de malt pilsen (malt de couleur claire) en majorité, d’un houblon aromatique assez fin. Une blonde peut être aussi bien une ale anglaise très légère, qu’une IPA très chargée en houblon. Il ne s’agit que de la couleur de la bière, et non de son style.
La bière blanche : Bière non clarifiée qui utilise du froment, du malt de blé tendre, avec une levure peu floculante (qui va sédimenter plus lentement et donner une bière trouble). Le fait de ne pas la clarifier va lui donner un aspect un peu blanchâtre, en raison du froment en suspension.
Witbier : bière blanche belge trouble, aux accents d’agrumes ou de coriandre.
La bière ambrée : bière dont la base est composée de malts caramel ou cristal voire une combinaison des deux. Le résultat donne cette coloration caramel, avec une rondeur en bouche caractérisée par le caramel, la mélasse.
La bière triple : style historique de bière d’abbaye belge. Elle a été brassée initialement dans les abbayes, où on la servait traditionnellement aux convives. Alors que la bière simple brassée avec 5° environ était consommée au quotidien, et que la bière double, atteignant les 7 à 8° d’alcool, était réservée à la vente à l’extérieur. La triple, elle, est destinée aux invités, et brassée avec encore plus de houblon, de malt, et d’épices, avec un taux d’alcool entre 7 et 10°. Mais contrairement aux idées reçues, elle ne subit pas de triple fermentation, ou ne contient pas trois fois le niveau de malt ou de houblon.
L’IPA : une bière de type Pale Ale, à la couleur jaune orangée, et qui contient entre 5,5 et 6 degrés d’alcool, pour une amertume comprise entre 40 et 60 IBU (International bitterness unit). Elle est brassée avec des houblons très aromatiques et prononcés.
La session IPA : bière très proche de l’American Pale Ale, brassée avec un houblon plus aromatique mais une amertume moins forte, et un niveau d’alcool entre 4 et 4,5.
La Neipa : ou New England IPA. Une bière assez trouble, brassée avec du froment ou de l’avoine, franche en terme d’amertume aromatique, avec un très joli nez, même si en bouche l’amertume est moins forte que dans une IPA.
La bière porter : style anglais né de l’utilisation de malt caramélisé. Cette bière est sombre, et carbonatée de manière assez faible, avec une consistance assez légère. Elle plaisait énormément dans l’industrie portuaire en Angleterre, et notamment chez les dockers, appelés « porters », d’où son nom.
La bière stout : bière similaire à la porter mais plus chargée, carbonatée avec un mélange d’azote et de CO2.
la bière Imperial Stout : une bière stout encore plus chargée en alcool et plus sombre.
Bière de style belge ou Belgian Pale Ale : style très classique de bière blonde clarifiée ou non, à la carbonatation très forte autour de 6 grammes de CO2 par litre. Elle a une odeur de levure, centrée sur le malt. En revanche, son profil de houblon et d’amertume est très faible.
La Kriek : une bière gueuze mélangée avec un fruit acidulé comme la griotte ou une autre fruit rouge.